Album de 82 pages, éditions Les Fourmis Rouges 2021

Prix de la Pépite Internationale 2022

Prix Graine de lecteurs 2022

Sélection Pépites de Montreuil 2021

Sélection Prix de la révélétion ADAGP 2021

Sélection Prix du festival Gribouillis 2021

Changer d’air est une histoire qui parle à la fois d’écologie, et du rapport aux autres.

Couverture de  » Changer d’air » »
Vitrine à la librairie Artazart

Entretien avec Jeanne Macaigne

Comment est né ce projet d’album, « Changer d’air » ? 

Et comment vous est venue cette idée d’utiliser la maison comme parallèle avec la planète Terre ? 

Nous habitons en tant qu’êtres humains sur cette Terre qui est notre Maison. Dans ses différents pièces, il y a des fleurs parfumées, des arbres flamboyants, de l’eau qui nous constitue, de l’air que nous respirons. Si elle meurt, elle nous emporte avec elle dans un gouffre silencieux. Au départ, dans l’histoire, la Maison vit avec ses habitants dans une harmonie paradisiaque. Une sorte d’Eden réinventé où chacun prête attention à chacun. La Maison est alors cet endroit réconfortant où l’on peut revenir, s’abriter, se protéger, y réfléchir dans un moment hors du temps pour mieux repartir. 

On apprend à être et à grandir par le corps, le geste, les rituels. De plus, si nous réfléchissons au corps dans l’espace et particulièrement dans la Maison, qui est un lieu de rituels sociaux condensés, on apprend à un être un habitant. Ce lieu nous définit. Quand un jour dans mon histoire, les habitants se déchirent, ils se coupent de leurs racines et, emportés par leur rage, s’en prennent à la Maison, celle-ci décide alors de « changer d’air », de les déplacer afin de leur offrir un nouveau départ vers une nouvelle vie. 

Dans ce livre, je me suis posée la question : « lorsqu’on change d’endroit, cela permet-il de se changer soi-même ? ». Lorsque la Maison emporte ses habitants pour tout changer, l’air comme les mœurs, ses habitants savourent le fait d’être de nouveau ensemble dans un paradis retrouvé. Mais très vite, leurs penchants dominateurs reprennent le dessus, et anéantissent tout. 

Je suis partie de l’idée que l’Humain entretient avec la Terre une relation ambivalente entre amour et destruction. Lorsque son égoïsme arrive au triple galop, avec sa cupidité en satellite, il enferme la Nature, la contrôle, la détruit. Dans mon histoire, j’ai cherché à représenter cette idée par le caractère cyclothymique des habitants, entre bonheur et destruction. 

C’est aussi l’idée selon laquelle, dans la réalité, il est difficile de vivre uniquement à l’intérieur de soi. Etablir alors des liens avec les autres, les écouter pour sortir de soi et revenir à soi-même est essentiel. Cohabiter devient alors rencontrer l’autre. Dans Changer d’air, ces autres si importants, sont la Maison elle-même, la faune et la flore qui l’environnent.

Votre album, avec ses thématiques très fortes (la question de l’habitat, du « chez soi », de la volonté de gagner des espaces plus tranquilles et du nécessaire respect de l’environnement), a-t-il été inspiré par le contexte actuel de pandémie ? La question étant désormais comment habiter un monde qui se défait écologiquement et humainement ? 

Étrangement, j’ai terminé cet album avant la période du coronavirus. La Maison pose la question : comment en tant qu’être humain habiter la Terre ? Depuis des millénaires, les humains ont tenté de l’apprivoiser, la domestiquer, la posséder… Mais quel espace lui donner pour l’écouter et vivre « avec » ? On pourrait dire que dans Changer d’air la famille est la plus petite cellule de l’humanité et que la Maison représente la Terre. Les rapports de domination et de prédation des êtres humains risquent de détruire la Terre comme ses habitants avec la Maison.

Dans son livre Habiter en oiseau, Vinciane Despret dresse la cartographie de la manière dont les oiseaux habitent le monde, notre monde. Ils ne l’habitent pas comme nous. Ils sont plus solidaires que nous ne le pensons. Lorsqu’ils se rencontrent aux frontières de leur territoire, ils peuvent se provoquer, frimer, parader : là où certains ornithologues y voyaient comme un signe d’agressivité et de compétition, c’est en fait un moyen de rentrer en contact. On est voisins, on cohabite ensemble, on se salue d’une aile. Par exemple pendant la tragédie de la pandémie et le confinement, dans les grandes villes les habitants entendaient plus perceptiblement le chant des oiseaux. Tout à coup la beauté du monde arrivait partout. Beaucoup prenaient la pleine mesure de « on n’est pas seul au monde ». 

En exergue de votre album, La Fontaine nous exhorte à nous aimer et nous dit que rien ne vaut en dehors de l’amour. D’ailleurs, l’amour traverse tout votre livre (l’amour fou entre la Maison et ses habitants, le manque de considération et d’amour qui amène à la destruction et précipite le départ etc.) L’amour, c’est ce qui peut nous sauver ?  

L’amour c’est cet espace à habiter, cet endroit où l’on se sent soudainement chez soi. Quand l’amour est délaissé, la volonté aveugle de tout rattraper coûte que coûte, dans un instinct de survie lutte contre la haine qui peut s’installer aisément dans un cœur sec et meurtrier. Je pense que l’amour peut remplir les cœurs de courage, leur redonner chair, leur insuffler une envie de se jeter dans l’existence. 

Au début de l’histoire, la Maison voue un amour fou à son quartier et à ses habitants, elle aimerait garder cette harmonie intacte. Quand les habitants la détruisent, elle passe par la colère, mais portée par l’amour, elle prend le risque d’affronter le monde entier pour tenter de retrouver cette harmonie originelle. Rimbaud disait « l’amour est à réinventer ». La Maison a ce courage d’essayer de retrouver leur amour éternellement jusqu’à y risquer sa propre existence. 

Ce qui traverse également ce livre, c’est l’idée d’un cycle de vie, du cycle de la Nature, qui se renouvelle… 
 
Les fleurs qui renaissent à chaque saison, l’air frais du matin, les étoiles dans la nuit… Toutes ces choses que l’on rencontre et qui nous mettent en joie. La Maison est étonnée devant chaque paysage, il y a la surprise du hasard, le hasard des rencontres qui la fait avancer. Et puis à la fin, l’histoire se termine par un feu d’artifice d’amitiés en tout genre. Ses amis remontent son chagrin et lui apportent leur soutien, le paysage en devient enchanté. En apportant chacun un peu de soi, et en prenant le temps de chaque amitié, je crois qu’à partir de là, on peut construire des folies.